Mille mystères [PV Okéanos]

Erylis fendit la foule de sa démarche souple. Le vent faisait onduler sa longue robe bleue, comme il faisait onduler la crinière violette de Suicune. La jeune femme ne se souciait pas de tous les regards qui se fixaient sur elle, comme aimantés. Fière, mais sans ostentation, elle ne semblait préoccuper uniquement que de son chemin. Erreur. Elle voyait tout, entendait tout, et personne n'aurait été capable de la prendre en embuscade. D'ailleurs, deux poignards luisaient à sa ceinture de coquillages, et elle portait un carquois. À ses côtés, la majestueuse panthère des océans était elle aussi vigilante. Ils formaient un duo singulier et redoutable.

La jeune femme s'engouffra dans une ruelle déserte. Elle la traversa d'un pas rapide, ignorant un vendeur ambulant qui l'avait abordée. Pas le temps pour des babioles. Elle arriva devant le parc Teien et jeta un regard à Suicune. C'était là qu'il lui avait donné rendez-vous. Le vieillard qui disait connaître le Royaume d'Émeraude. La jeune femme savait pertinemment qu'il pouvait s'agir d'un ennemi, et elle n'avait absolument pas accordé sa confiance à cet homme qui l'avait reconnue au premier coup d'œil. Quelqu'un, à Yokuba, savait son identité. Et s'il se révélait dangereux, Erylis l'éliminerait sans hésiter. Elle avait beaucoup réfléchi à cet homme, pendant la nuit, avec Suicune et Sayanel. Aujourd'hui, elle allait le trouver au parc, sans aucune crainte.

Elle traversa un petit pont, sous lequel coulait paisiblement une rivière limpide, où proliféraient les Milobellus, magnifiques créatures. Elle s'attarderait à leur contemplation plus tard. Arrivée ici, il fallait qu'elle se montre encore plus vigilante. Elle suivit un petit sentier et s'enfonça dans la végétation luxuriante. Le parc était vaste. Elle arriva devant un petit autel, là où le vieillard lui avait donné rendez vous, pour "l'après-midi", avait-il conclu vaguement. Actuellement, le soleil était à son zénith.

Sayanel devait être dissimulé dans les fourrés. Il avait été convenu qu'il se rendrait au lieu de rendez-vous un peu avant Erylis et Suicune, et se tenir caché, prêt à intervenir, surveillant les alentours pour veiller à ce que rien qui puisse éveiller les soupçons ne se produise. La jeune femme ne tenait pas pas à tomber dans un guet-apens. Et si jamais le vieillard se révélait être un adversaire, elle voulait être en bonne situation pour une éventuelle confrontation. Il ne fallait jamais sous-estimer quelqu'un. Cet homme l'avait reconnue beaucoup trop rapidement pour être une personne ordinaire.

Je n'aime pas être démasquée.

Confia-t-elle à Suicune. Elle aurait presque préféré que l'homme fût un ennemi. Les humains avaient la langue peu fiable, et rares étaient les incorruptibles. Erylis n'avait pas peur, seulement elle tenait à sa tranquillité. Si l'on pouvait éviter les importuns... Oh, s'il le fallait, elle dégainerait les armes tant qu'il le faudrait pour préserver son anonymat. Et ces meurtres ne feraient aucun bruit, personne ne serait au courant. La jeune femme savait s'y prendre.

Nous aussi, nous saurons qui il est.

Répondit la panthère marine avec détermination. Erylis hocha la tête. Effectivement, elle était décidée, elle aussi, à élucider le mystère de l'identité de l'homme qui lui avait donné rendez-vous. Elle s'assit sur un banc, néanmoins prête à bondir s'il le fallait. Plongée dans une intrigue brumeuse, elle espérait pouvoir bien vite éclaircir les choses. Et elle ne doutait pas de ses capacités.

Okéanos bailla. La chaleur du début de Printemps le fatiguait un peu, et étant donné qu'il l'était déjà par défaut, ça n'arrangeait rien. Il était assis à la terrasse d'un vieux café dont l'enseigne avait perdu ses couleurs avec le temps, où l'entrée était décorée de deux vieux buis taillés en boule. Il appréciait l'odeur des buis, mais jamais elle ne remplacerait celle d'un vieil olivier ou d'un laurier fleur. Tout comme le vent Yokubain ne vaudrait jamais le Meltem. Il se demandait toujours pourquoi autant de gens détestaient à ce point le Meltem, mais après tout, il n'allait pas non plus se fatiguer à essayer de comprendre ce genre de choses.

Depuis le début de l'après-midi, il avait essayé de changer les cordes de son bouzouki, et il venait à peine de réussir à accorder les deux premières. Sparta l'avait fixé l'air vide depuis le début, ne comprenant sans doute pas la logique d'enlever les cordes d'un instrument pour lui en remettre juste après.

Le Grec leva le nez de la corde qu'il essayait d'accorder. C'était une sorte d'habitude qu'il avait depuis sa plus tendre enfance, celle de regarder les gens passer, d'observer cet amas de personnes bouger et s'agiter. Il n'y avait pas tant de monde que ça, mais assez pour que ça le distraie. Il faisait danser son plectre entre ses doigts en oubliant progressivement ce qu'il était en train de faire. A chaque fois, quand il s'endormait, ça commençait comme ça ; d'abord il oubliait ce qu'il faisait, puis sa tête tombait en avant, et voilà.

Mais pas cette fois : Il remarqua que plusieurs personnes qui se hâtaient dans l'amas de foule ralentissaient leur marche, tournaient la tête. Il fit de même, cherchant ce qui pouvait attirer l'attention à ce point. Et son regard trop calme se posa sur une jeune femme brune aux yeux verts, dont la foulée faisait onduler sa robe bleue. Et à ses côtés marchait un être qu'Okéanos n'aurais jamais même imaginé rencontrer ici. Un Suicune. Peut-être même l'unique Suicune, après tout, on ne lui avait jamais prouvé qu'il en existait plusieurs. Il eut comme l'impression qu'elle survolait complètement tout ce qui pouvait se passer, et qu'elle se concentrait seulement sur l'endroit où elle allait.

Entrée 8-Yokuba. Cher cahier de maths. Aujourd'hui, pour la toute première fois, j'ai pu voir quelque chose qui m'a empêché de m'endormir immédiatement : Une jeune fille qui se promène avec un Suicune. Je me demande où elle va comme ça. Je me disais que je pourrais juste rentrer à la maison, me faire à manger, prendre une douche et aller dormir, mais je me demande quelque chose. Est-ce que cette fille et son Suicune apprécieraient le bouzouki ?

Le Grec claqua son cahier de maths. Avec le temps, le pauvre s'était trouvé écorné, abîmé par l'humidité et la lumière. Il avait perdu la quasi-totalité de la couleur qu'il avait eue. Quelques mots en Grec étaient inscrits ici et là, au crayon bille. Il avait vraiment besoin d'être rangé dans une bibliothèque : il menaçait de tomber en morceaux n'importe quand.

Okéanos pris encore cinq minutes pour accorder la toute dernière corde. Il n'était pas virtuose, mais il avait des bases assez bonnes pour jouer sans faire n'importe quoi. Il souleva Sparta par la peau du cou et le posa sur son béret.

Il dut attendre quelques ruelles avant de pouvoir commencer à jouer tranquillement. Le peu de gens qu'il croisait souriaient un peu voire pas du tout en le voyant l'air de rien, avec son étrange guitare, sifflant un chant qu'il avait appris à Ermioni. Sparta avait plutôt l'air d'apprécier, lui aussi. Quoiqu'on ne sait jamais trop à quoi pense un Chacripan.

Alors qu'il continuait à faire danser sa main gauche sur les frettes, quelque chose de brillant attira de nouveau son regard las. La lumière du soleil à son Zénith se reflétant sur un morceau de métal. Il tourna la tête. C'était encore la jeune fille aux yeux vert gazon. Ou plutôt, vert Émeraude. Sans doute beaucoup plus verts encore que les siens qui tiraient un peu sur l'olive. Sans gène, il s'approcha. Et toujours sans gène, il se pencha vers l'étrange félin à la crinière mauve tout en s'arrêtant de jouer. Il fut tenté de demander "Est-ce que votre chien mord ?" Mais il sentit qu'il atteindrait le fond du fond de la stupidité en faisant ça.

Reprenant ce qu'il grattait depuis quelques minutes, il préféra déclarer simplement :

"Un Pokémon réputé si sauvage en compagnie d'un humain..."

Il posait souvent ses questions sous cette forme. Comme ça, si la jeune fille voulait l'ignorer, elle l'ignorerait. Si elle voulait l'envoyer balader, elle le ferait aussi. Ce ne serait pas la première fois que ça lui arriverait, et ça ne l'empêcherai certainement pas de dormir... Mais il éprouvait vraiment une grande curiosité pour cette fille aux yeux verts, au moins autant que pour la légende vivante qui l'accompagnait. Il se demandait seulement s'il avait bien fait de la déranger... probablement pas, mais il verrait bien ?

Spoiler:

Erylis entendit une mélodie étrange. Elle se leva, intriguée. Était-le vieillard ? Les fourrés remuèrent. Sayanel cherchait à apercevoir l'inconnu, visiblement. Il se fit plus discret, heureusement. Suicune s'avança doucement. Un homme musclé, aux larges épaules arriva devant la jeune femme. Il possédait des cheveux châtains, ébouriffés, et un regard vert olive. Il semblait assez jeune. Ce n'était pas le vieillard venu honorer son rendez-vous. Erylis fut quelque peu agacée par cette venue incongrue. Et si jamais l'homme arrivait maintenant ? La jeune femme ignora le nouveau venu, sans pour autant cesser de l'observer du coin de l'œil. Il fallait prêter attention à tout. Ce pouvait être une personne dévouée au vieillard, venue l'espionner ? Elle tombait dans la paranoïa.. Elle pouvait tout supposer. Le jeune homme se penchait sur Suicune, qui, d'un mouvement indifférent, repoussa l'inconnu. Ce dernier observa Erylis avec curiosité. Cette dernière demeurait impassible. Elle attendait les questions, qui tomberaient sans doute sans attendre.

Un Pokémon réputé si sauvage en compagnie d'un humain...

En effet, les questions. Il était vrai qu'une humaine accompagnée de Suicune, cela ne se voyait pas tous les jours. La panthère marine était légendaire... N'importe qui, sans pour autant avoir de mauvaises intentions, ou des intentions tout court, était susceptible de poser des questions de ce genre. Toutefois, Erylis n'etait pas disposée à dévoiler sa vie. Elle avait tout intérêt à conserver le mystère. L'inconnu devrait s'en contenter. Cependant, il était vrai qu'accompagnée de Suicune, sa fausse identité perdait toute sa crédibilité. Tant pis. Erylis avait l'habitude des situations délicates. Elle fixa attentivement le nouveau venu, qui ne semblait pas manifester d'hostilité quelconque. Ne jamais se fier aux apparences.

Certaines créatures voient jusqu'au fond des âmes.

Répondit-elle énigmatiquement. Suicune surveillait les alentours, et s'avança de quelques pas. Erylis s'approcha de lui. Il semblait écouter quelque chose. Elle tendit l'oreille, entendit des pas encore lointains, mais qui se rapprochaient. Des pas rapides et déterminés. La marche du vieillard de hier. La jeune femme jeta un bref regard à l'inconnu, et n'y prêta plus attention. L'énergumène arrivait enfin. Elle attendit un long moment, immobile, écoutant attentivement. Il ne semblait pas se diriger vers elle.. Que faisait-il ? Elle se rassit sur le banc, mais se releva aussitôt. Son ouïe très développée lui permit de distinguer d'autres pas. Des pas feutrés, marche de quelqu'un qui avait tout intérêt à ne pas se faire entendre... Cela ne présageait rien de bon. Erylis entendit alors dans l'air un sifflement qu'elle connaissait bien. Gardant son sang froid, elle se jeta sur le jeune homme et l'entraîna dans sa chute. Une nuée de flèches passèrent au dessus d'eux. Ils auraient dû toucher l'inconnu et le transpercer de part en part. Suicune se plaqua au sol, prêt à agir. Erylis attendit quelques temps, retenant très fermement l'inconnu à terre. Elle se releva ensuite, le regard partout. Des fourrés s'agitèrent très légèrement. Le bruit d'une arme qu'on dégaine retentit à ses oreilles. Il était discret, seulement la jeune femme avait des sens très développés. Elle dégaina l'un de ses poignards et le lança vers les buissons. Un gémissement terrible vint lui confirmer que l'adversaire était neutralisé.

Sayanel, va repérer les éventuels autres. Suicune, occupe toi des autres flèches.

Enjoignit tranquillement Erylis. Les buissons où se trouvait l'Arcanin bougèrent, signe que Sayanel se déplaçait. Suicune se tenait prêt à bondir. La jeune femme poussa les fourrés où se trouvait le cadavre de l'agresseur. Un homme, qui devait avoir la trentaine. Une bourse rebondie pendait à sa ceinture. La jeune femme eut un rictus méprisant. Évidemment... Elle saisit le carquois de l'homme et inspecta les flèches. Empoisonnées. Quel armement... Des flèches empoisonnées et un pistolet. En effet, commettre un meurtre avec des flèches était beaucoup plus discret qu'avec un pistolet. La jeune femme s'en saisit, et se releva. Elle lança l'arme au jeune homme au regard vert :

Pour ceux qui veulent votre peau, n'hésitez pas.

Déclara-t-elle, laconique. Soudain, elle fronça les sourcils. Soit l'agresseur était une cruche au tir à l'arc, soit le jeune homme était bel et bien visé. Ce qui voudrait dire qu'il n'était pas n'importe qui. Et qu'il pouvait être lui aussi dangereux. Erylis le fixa longuement. Elle verrait plus tard. Pour l'instant, il fallait se protéger. Sayanel revint, ne se dissimulant plus. L'Arcanin était calme :

Rien à signaler. Le parc est désert. Ce qui n'est peut-être pas un bon signe, tout compte fait...

La jeune femme parlait aux Pokémon. Elle hocha la tête :

Tu n'as rien entendu ?

Rien.

C'est étrange...

Erylis restait sur le qui-vive. Sayanel disait n'avoir rien vu, rien entendu. Pourtant, avant l'agression, ils avaient entendu les pas du vieillard... Peut-être s'était-il rendu compte que son entreprise avait échoué, et s'était enfui.. Pour élaborer un plan plus efficace. La jeune femme avait un ennemi, et pas des moindres. Qui possédait tout un arsenal, et du poison. Et il devait être riche, visiblement, lui qui avait corrompu leur agresseur. Suicune se détendit légèrement. Il ne reviendrait pas de sitôt, ce serait peut-être la seule attaque de la journée. Mais à partir de maintenant, leurs jours étaient en danger s'ils ne neutralisaient pas le vieillard.

En effet comme s'y attendait plus ou moins Okéanos, la jeune femme ne sembla pas vouloir lui prêter plus d'attention que ça. A sa question un peu détournée, elle répondit d'une façon peu habituelle au jeune homme, qui ne comprit pas sur le coup ce qu'elle entendait par là. Il n'eut malheureusement pas vraiment le temps d'y réfléchir.

Il mit une petite poignée de secondes à se rendre compte qu'il était plaque au sol. Sparta hérissa le poil, comme il le faisait quand son maître pouvait se trouver dans une situation ennuyeuse ou qu'il rencontrait un ennemi (la première solution étant plutôt inhabituelle puisque le jeune homme n'avait jusqu'alors jamais rencontré personne de dangereux). Il se reprit en main et tenta de se relever, comme l'aurait sans doute fait toute personne dans sa position. Inutile, elle le bloquait. Il put alors apercevoir un peu plus loin ce qu'il reconnut comme des flèches. C'était possible, ce genre de choses ? Que quelqu'un en ait après sa vie ?

Il devait juste se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. C'est ce qu'il conclut en observant la fille aux yeux verts lancer son poignard d'un geste précis dans les fourrées.

"Sayanel, va repérer les éventuels autres. Suicune, occupe toi des autres flèches."

Il resta un moment par-terre, à moitié sonné. Non, vraiment, il ne voyait pas comment on pourrait lui en vouloir. On avait du le prendre pour un ennemi, de la jeune femme peut-être ? Ou justement, un ami ? Un obstacle ? Il haussa les épaules. Il n'en savait vraiment rien et il ne comptait pas vraiment sur celle qui venait de le sauver pour l'éclairer. Il cligna des yeux et ramassa d'une manière plutôt nonchalante son béret.

"Pour ceux qui veulent votre peau, n'hésitez pas."

"Hm... ?"

C'est tout ce qu'il parvint à dire. "Ceux qui veulent votre peau". Déjà, c'était bien rare qu'on le vouvoie, mais pire encore, qu'on lui dise qu'il n'y avait apparemment pas qu'une personne qui en avait après lui, et surtout, que cette personne ne s'était pas trompée de cible. De ce qu'il avait entendu, la jeune femme avait mis fin aux jours de ladite personne d'une façon assez rapide et sans trop se poser de questions. Et lui qui se retrouvait avec un revolver entre les mains... "Yokuba m'a l'air d'une petite île tranquille, j'y finirai mes jours," avait-il dit à ses parents. Eh bien...

Dans le doute, il préféra garder la main sur le cran de sécurité (même s'il n'avait jamais utilisé d'armes et était bien sûr d'être incapable de tirer sur qui que ce soit). De ce qu'il put voit dans les quelques minutes qui suivirent, cette jeune fille était vraiment en dehors de l'ordinaire. Elle parlait avec ses Pokémon, elle était accompagnée d'un Suicune, semblait avoir des sens et des réflexes très développés, et tuait de sang froid ceux qui nuisaient à la vie d'autrui, elle avait cette élégance qu'on voyait sur vraiment très peu de gens. Quelque chose heurta enfin le cerveau encore embrumé du jeune Grec : cette fille n'était pas du tout ordinaire.

"Hum, j'éviterai d'approcher les Suicune à l'avenir..."Déclara-t-il. Il prit le Chacripan qu'il remit sur son épaule. Il le sentait encore tendu, mais c'était toujours mieux qu'il y a quelques instants. Le Suicune qui marchait non-loin avait lui aussi l'air de souffler un peu.

"Au fait, est-ce que vous pouvez me dire ce qui vient de se passer ? Je veux dire, pourquoi sur nous ? Et qui en a après vous comme ça ?"L'interrogea-t-il pendant que son cœur ralentissait un peu. L’inonder de questions n'était peut-être pas ce que la jeune femme préférerait, mais hein, tant pis pour cette fois. Déjà, il n'avait pas osé faire de remarque sur le pauvre gars qui devait agoniser dans les fourrées du Parc. Il y pensait à peine, à vrai dire. Il reprit rapidement son calme et son sourire habituels. Après tout, ce n'était pas parce qu'il avait failli mourir qu'il devrait devenir paranoïaque : justement, il n'était pas mort, parce que les Dieux n'avaient pas voulu de lui sans doute. Ni de la jeune femme. Plutôt que de s'inquiéter parce qu'on avait frôlé la fin, on devrait plutôt se réjouir parce qu'on ne l'avait pas atteinte, pensa-t-il. Comme à chaque fois que quelque chose lui arrivait, il réfléchissait plutôt que de paniquer complètement, analysait un peu tout ça et le remettait en ordre avant de commencer à parler. Puis il en ferait le rapport dans le vieux cahier de maths.

"Et hum, je vous suis reconnaissant de ne pas m'avoir laissé mourir, je crois... Si par le plus grand des hasard vous avez besoin de mon nom, c'est Okéanos."

Il n'osa pas demander son nom à son "interlocutrice". Il l'ennuierait surement, et il n'était déjà pas sûr que donner le sien à une personne qu'il ne connaissait pas du tout soit une bonne idée, mais c'est tout ce qu'il pouvait faire pour la remercier. Il ramassa le pauvre bouzouki qui en avait vu de toutes les couleurs aujourd'hui.

"Ah et, d'où venez vous pour être comme vous êtes ?"Lui demanda-t-il finalement, le calme un peu retombé et ses idées remises en place, prenant un peu de recul sur la situation qu'il venait de vivre.

Au fait, est-ce que vous pouvez me dire ce qui vient de se passer ? Je veux dire, pourquoi sur nous ? Et qui en a après vous comme ça ?

Erylis jura mentalement. Avalanche de questions. En même temps, c'était une réaction parfaitement normale. D'ailleurs, elle aurait bien pu tomber sur un type complètement trouillard. Et il était peut-être vrai qu'elle devait quelques éclaircissements au jeune homme, qui avait tout de même failli perdre la vie. Mais alors, il était parfaitement ignorant de ces sombres machinations ? Personne ne lui en voulait, il était réellement innocent ? La jeune femme le fixa d'un regard perçant. Hum, non, c'était vraiment à elle qu'on en voulait, et c'était le vieillard qui trempait dans cette affaire obscure. Évidemment. C'était sûrement une bonne chose que ce fut elle qui soit visée. Non pas qu'elle prenait son interlocuteur pour un grand benêt incapable, mais elle était sûrement un adversaire plus coriace et plus redoutable que lui. Elle lança un regard à Sayanel et Jilano. La même lueur grave brillait dans les yeux de ses deux compagnons. Ils avaient compris.. Elle hocha la tête. Ils étaient prêts à déjouer les plans de celui qui l'avait démasquée. Oh, il ne ferait pas long feu, elle y veillerait soigneusement...

Et hum, je vous suis reconnaissant de ne pas m'avoir laissé mourir, je crois... Si par le plus grand des hasard vous avez besoin de mon nom, c'est Okéanos.

Le pauvre garçon, il la traitait en sauveuse, alors que, sans sa présence, il n'aurait pas frôlé la mort. Erylis lui jeta un bref regard lorsqu'il se nomma. Okéanos. Un prénom étranger, comme le sien, d'ailleurs. "Erylis" était trop étranger, même. La jeune femme avait donc pris le masque de Ryla Verne. Elle s'était trop dévoilée, aujourd'hui. Ce n'était pas tous les jours que l'on voyait quelqu'un doté de telles capacités, d'un tel sang froid et de tels sens. Accompagné d'un Suicune, de surcroît. Bah, il l'avait vue à l'action. S'il tentait quoi que ce soit de malveillant sur sa personne après cela, c'est qu'il était un imbécile, ou alors quelqu'un de légèrement masochiste.

Ah et, d'où venez vous pour être comme vous êtes ?

Eh oui, elle avait dû tomber, celle là. Eh bien, il l'assommait sous ses interrogations continuelles, et pas des moindres. La jeune femme demeura silencieuse et se rassit sur le banc. Elle n'allait pas le laisser sans réponses. Du moins, sans semblant de réponse. Oh, s'il s'imaginait qu'elle allait lui livrer toute la vérité, tout ce qui était lié à l'agression et à ses origines... Il se trompait lourdement.

Ce qui s'est passé ? Un homme a été soudoyé pour éliminer l'un de nous deux. Pourquoi sur nous ? Oh, vous savez, un humain en compagnie d'un Pokémon réputé si sauvage...

Répondit-elle en l'observant fixement. Ses réponses énigmatiques pouvaient en énerver plus d'un, même si rares étaient les personnes qui en venaient à un tel point de discussion avec elle. Seulement, le jeune homme devrait s'en contenter. Il avait sûrement compris tout seul qu'elle n'était pas une personne ordinaire, le citoyen moyen qui ne demande rien à part une vie douillette : une femme, des enfants, un écran. Mais que pourrait-il savoir d'autre d'elle ? Rien, assurément. Ou alors, cela dépendrait de lui... Okéanos. Enfin, elle devait bien fournir une réponse à sa dernière question. En espérant que ladite réponse le découragerait de poser des questions supplémentaires.

Je viens d'un endroit que vous ne connaîtrez jamais. Oh, et vous pouvez m'appeler Ryla.

Répliqua-t-elle. "Ryla". C'était un joli nom, dénué de sens, vide, un peu creux lorsque c'était Erylis qui le portait. De toute façon, seul son véritable prénom lui correspondait. Logique.
Son regard se posa sur le pistolet, que tenait toujours Okéanos. Tout compte fait, ses jours à lui aussi pouvaient être menacés... Il s'était retrouvé avec elle, manquant de mourir, et à présent discutait avec elle. Il pouvait très bien y avoir des espions, qui pouvaient ensuite se servir d'Okéanos pour obtenir le renseignement le plus minuscule, la précision la plus inutile. Ne rien dévoiler au jeune homme, c'était se protéger elle, mais aussi le protéger lui. Le lui dire le dissuaderait sûrement de toute curiosité, si ce n'était déjà fait. Oh, et puis. Il avait l'air intelligent. Elle n'avait pas spécialement envie de gaspiller sa salive pour ce qui lui semblait être des lapalissades.

"Ce qui s'est passé ? Un homme a été soudoyé pour éliminer l'un de nous deux. Pourquoi sur nous ? Oh, vous savez, un humain en compagnie d'un Pokémon réputé si sauvage..."

C'est ce qu'il eut comme réponse a sa question, et s'il n'en était pas satisfait du tout (il s'attendait quand même à ce qu'il lui explique pourquoi LUI avait failli se faire transpercer, mais après tout, ça ne l'empêcherait certainement pas de dormir), il hocha quand même la tête en fixant toujours la femme devant lui, attendant la réponse à la dernière question de son petit interrogatoire, et ignorant totalement tout ce qu'elle, elle pouvait penser. Dans un sens, il aurait été étrange qu'il le sut.

"Je viens d'un endroit que vous ne connaîtrez jamais. Oh, et vous pouvez m'appeler Ryla."

Il fut tenté de demander, comme les enfants le font régulièrement : "Pourquoi je ne connaîtrai pas cet endroit ?" Mais il se retint un peu : il trouvait qu'il avait déjà beaucoup ennuyé cette dame pour le moment. Enfin, il aurait sans doute changé d'avis rapidement.

"Oh, vous pouvez me tutoyer. Je vous suis... hm, reconnaissant, je crois, d'avoir égayé ma journée, même juste un peu. Par contre, j'aimerais bien, comment dire ? Hum, je pense, arrêter de me sentir comme un simple petit humain quand vous me parlez... Vous voyez, Madame Ryla ?"

Bon, comme ça c'était dit, même s'il n'était pas sur que ça change quelque chose. Il en était même persuadé. Il s'en fichait pas mal, lui, des ces gars qui lui avaient sauté dessus. Quoique, il avait bien eu peur, mais... Oh, c'était bien confus, tout ça. tout ce dont il était sur, c'est qu'il aimait bien cette dame et son Suicune même s'il ne se sentait pas vraiment digne de leur adresser même la parole.

Buh. Il s'assit à même le sol. Tout ça l'avait bien fatigué, il verrait le lendemain s'il ne serait pas possible de "sécher le boulot". Encore. Pour la cinquième fois ce mois ci. Pour ne pas s'endormir comme ça, en plein milieu d'un parc, aux pieds d'un vieux banc, il se forçait à réfléchir. Pour ne pas s'éloigner du sujet, il commença a penser à ce qu'il avait entendu. "Un endroit que vous ne connaîtrez jamais." ; et puis "Ryla". Ryla, oui, c'était joli, mais il avait le sentiment que ça sonnait très faux, comme quand il jouait sur sa gratte sans n'avoir accordé aucune des cordes. Mais à la limite, il n'allait pas croire comme ça qu'elle lui donnerait une identité véridique. Il haussa les épaules : il pensait trop pour un simple prénom.
Et cette histoire d'endroit qu'il ne connaîtrait pas.

"De là où vous venez, vous avez tous ce genre d'attitude et de Pokémon ? Ca doit être original, chez vous. Chez moi... Il y avait beaucoup de Ningale et Ninjask, je m'en souviens. C'était assourdissant, leurs chants, en été. Enfin, ça ne doit pas vraiment vous intéresser, ce que je raconte."

Il leva son regard songeur vers celui de "Ryla".

"Oh, je me demandais, qu'est-ce que vous allez faire de ce brave type dans les fourrées ? Je pense qu'il n'aurait pas apprécié de se savoir transformé en engrais pour buisson, mais c'est mon avis, après tout..."

Il étouffa un bâillement. Son Chacripan le relaya sans se retenir, lui. Comme pour montrer qu'il était décidé à faire sa Bernique, il posa son bouzouki sur ses genoux et entreprit de l’ausculter. La chute l'avait un peu rayé sur la caisse de résonance, mais peu importe, ces instruments n'étaient jamais plus beaux qu'abîmés, selon lui. Il n'était pas à exclure qu'il pense ça parce qu'il n'avait pas vraiment l'envie ni l'argent de le faire réparer.

"Hum, j'ai l'impression que vous n'y êtes pas allée de main morte, Madame Ryla... je vous en aurais VRAIMENT voulu si j'avais eu à racheter des nouvelles cordes, ou pire. Enfin, j'imagine que mort, j'aurais eu plus de mal à en jouer."

Il se releva tranquillement.

"Je crois que je vous ennuie, beaucoup... Si je m'en vais, vous serez contente ? Parce que loin, très loin de moi l'envie de vous embêter plus que ça, il dit en fixant son index un peu écorché, et puis je crois que votre Suicune ne m'aime pas beaucoup."

Erylis écouta patiemment le jeune homme, sans répondre pour autant, l'air songeuse. Okéanos finit par se relever, sans savoir ce que la jeune femme ferait de son prétendu dédain, du cadavre, et de ses souvenirs. Elle eut un mince sourire lorsqu'il évoqua les éventuels sentiments de Suicune à son égard. Ce dernier était difficile à décrypter, il était vrai.
Oh, mais Okéanos s'en allait ? Très bien, elle n'allait pas le retenir, seulement il fallait lui prodiguer quelques avertissements. Pour qu'il aie quelques chances de garder la vie sauve... Il était légèrement insolent, tout de même, mais il avait un bon fond. Erylis eut un regard songeur et dénué d'émotions pour les fourrés où gisait le malheureux cadavre. Était-il vraiment malheureux, d'ailleurs ? La mort, n'était-ce pas le plus beau cadeau que l'on puisse offrir à un vivant ?

Soudain bruissèrent les feuilles, presque imperceptiblement. Erylis tourna immédiatement la tête vers l'origine du bruit, et Suicune se tendit. Un vieillard sortit des fourrés, d'un pas vigoureux. Regard bleu et énergique, air rusé, impeccable dans son costume noir. Le mépris tordit les traits de la jeune femme. Son ennemi. Il avait vite compris qu'envoyer des subalternes ne servirait à rien contre Erylis. Il eut un sourire semblant presque chaleureux, et tendit les bras, tandis que la jeune femme se tenait prête à dégainer une arme :

Allons, allons ! Que me vaut tant d'agressivité ? Est-ce une faute de m'être assuré de votre légitimité ? Vous n'auriez pu être qu'une gueuse, indigne de mon attention... Mais la façon dont vous avez éliminé cet homme et son état témoignent de la véracité de mes intuitions.

Cet homme était un serpent. Erylis ne se laissait pas tromper. Il jouait serré, l'animal. Et Okéanos qui assistait au dialogue... Le secret de l'identité de la jeune était à deux doigts d'être éventé. Elle le savait. Elle se rapprocha du vieillard, étudiant soigneusement son apparence. Elle savait que Suicune faisait de même. Jilano, lui, rampait sûrement dissimulé dans un arbre ou dans les buissons, prêt à intervenir. Sayanel était près d'elle, s'apprêtant au combat, s'attendant à toutes les ruses retorses de l'adversaire. Ce dernier souriait toujours, ses lèvres minces dévoilaient une dentition éclatante.

Et moi, comment pourrais-je m'assurer de la légitimité de vos propos ? Êtes vous vraiment celui que vous prétendez être ? Permettez moi d'en douter..., répliqua Erylis.

Le vieillard eut un mouvement impatient, feignant d'être agacé par des conventions et des formalités. Il s'assit sur le banc, et planta son regard dans celui d'Okéanos. Il sourit de nouveau, lança un regard oblique à la jeune femme. Son attention se reporta sur le jeune musicien. Erylis fronça intérieurement les sourcils. Que manigançait-il donc ? Elle s'attendait à cette fourberie. Okéanos aurait dû partir plus rapidement... À présent, c'était trop tard. Le serpent s'était aperçu de sa présence. Mais Erylis était déterminée, elle vaincrait son adversaire. Il fallait cependant redoubler de ruse.. Elle n'avait pas affaire à un novice.

HS : Désolééée pour le retard.. Tu peux jouer le vieillard aussi, veille seulement à ce que son langage reste relativement soutenu. ^^

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